Le journal de Michel Saison 2



Voilà, je suis de nouveau sur le chemin de la Toscane depuis bientôt deux semaines maintenant. Je suis revenu à None, même hôtel, où nous nous étions arrêtés, Jean-Luc, Claude et moi, l'an dernier. Mon départ a été beaucoup plus discret cette année. 6h29 Gare de Lyon, direction Turin.

J'ai commencé à marcher mardi 27 août 2019 pour aller à Carmagnola (l'origine piémontaise du chant révolutionnaire est incertaine). C'est la plaine du Pô, agricole, que des champs de maïs sur le parcours. Comme les maïs sont plus grands que moi, le paysage est souvent limité voire inexistant. 



En début d'après-midi, j'arrive chez les Soeurs de Sainte-Anne. Soeur Elena puis Soeur Angela m'accueillent chaleureusement. Dans le centre, j'entends répéter un orchestre symphonique, des bribes de Ravel, Verdi et Beethoven. A la fin de la répétition, Soeur Angela me fait rencontrer le maestro qui est francophile et francophone. Cet ancien professeur du Conservatoire de Milan est un érudit toujours très passionné par la musique. La technique instrumentale, c'est bien mais il faut de l'amitié entre les musiciens pour faire de la bonne musique. Nous parlons un bon moment de choses et d'autres, un délicieux échange. L'orchestre est composé de jeunes musiciens destinés à devenir professionnels. Il répète pour la fête du poivron qui aura lieu le week end prochain dans la ville. Le soir, je dîne, un moment enjoué, avec les deux Soeurs qui me font découvrir le zucchino. Connaissez-vous ? Imaginez une carotte, vert pâle plutôt qu'orange, diamètre comparable peut-être un peu plus grand mais long de 40 à 50 cm. Un étonnement. Utilisé en légume chaud. Deux jours plus tard, je le consommerai en salade. (Le dictionnaire dit courgette, mais ça ne ressemble pas du tout à celles que je connais.)

En fin de nuit, des éclairs et des coups de tonnerre pendant 1h30 au moins puis à 7h une pluie diluvienne. Gloups ! Au moment de partir, grosse pluie mais moins forte, je sors la cape. Soeur Angela m'embrasse et j'oublie de transmettre mes salutations à Soeur Elena. Je pars, soudain une petite voiture noire me dépasse en klaxonnant et s'arrête. Soeur Angela en descend, sort son smartphone et filme mes premiers pas de la journée dans mon drôle d'accoutrement.

Derniers saluts et me voilà bientôt au centre-ville de Carmagnola avec sa maison-palais renaissance, ses multiples églises, ses arcades, son château médiéval devenu mairie et son grand marché du mercredi. 



A bientôt 10h des commerçants installent encore leur étal. Si vous passez par là, arrêtez-vous à Carmagnola. Je quitte la ville. 




Vers 11h, je range la cape, à 13h30, casquette et lunettes de soleil. Le paysage change, ça monte, les maïs ont laissé la place aux noisetiers, des hectares de noisetiers cultivés, surtout pour l'entreprise d'ici, Ferrero me dira-t-on. 



J'arrive à destination à Monteu Roero, village suspendu à la colline. Notre ami Patrick me signale le Roero Arneis spumante (joli nom), vin blanc pétillant, et le maestro m'a dit du bien du rouge de Roero. Je me sens obliger de goûter les deux. Mais où sont les vignes ?

Je les découvre le lendemain après mon départ. Bientôt finis les noisetiers, place aux vignes. 


Des collines entières couvertes de vignes. Ce paysage pendant trois jours sans discontinuer, à monter et descendre dans la chaleur. 


Le premier jour, juste après le déjeuner sommaire, je passe près de pêchers (perdus parmi les ceps). Les fruits sont gros, mûrs, chauds de soleil et se détachent facilement. Un excellent dessert venu à point nommé. Plus loin, je goûte le raisin noir quasiment mûr, et recrache immédiatement le raisin blanc qui est vert. J'arrive l'après-midi à Neive où je suis remarquablement reçu (B & B Il Nido). Mon hôtesse m'offre des rafraîchissements et nous engageons une longue conversation sur la randonnée, qu'elle pratiquait en montagne, d'où je viens, où je vais, nos familles, etc ... Je n'ai jamais tant parlé italien et je sens que je me décomplexe significativement à propos de cette langue parlée. Le soir, la dame me cuisine un repas simple et élégant. Je n'oublierai pas les tomates du jardin merveilleusement préparées en une salade délicieuse. Bien sûr la conversation continue pendant et après le dîner. Le lendemain matin, avec le tampon sur le carnet, on me remet un pendentif en bois pyrogravé avec sur une face le tau et la colombe de Saint-François et, en français, "Chemin d'Assise" et sur l'autre "Neive 2019".

Le pendentif tient compagnie sur mon sac à dos à notre petit randonneur du RCY.



En route pour Santo Stefano Belbo (qui n'est pas Rocky Balboa). Etape moyenne en difficulté et longueur. Un défaut de balisage m'égare et allonge le parcours d'un bon km. Faut-il le dire, je suis dans les vignes et la chaleur. J'arrive à destination et traverse le bourg pour me rendre à l'agriturismo où j'ai réservé. A l'angle de la dernière rue, une maison m'intrigue. Je m'approche, il s'agit de la maison natale de l'écrivain Cesare Pavese. 


La maison en L a deux parties, l'une est un musée dédié à l'écrivain, l'autre un petit restaurant familial (la famille de Pavese ?). Je connaitrai le second, pas le premier. Voilà une idée de lecture pour le retour.     Je suis bien logé à l'agriturismo où je soupçonne une nouvelle fois être le seul locataire.



A bientôt

Michel

Le 12 septembre 2019

Je quitte ce matin Santo Stefano Belbo où j'ai reservé au B & B Il Ghiro (Le Loir). 

A peine parti, je croise un homme, la quarantaine, qui semble humer l'air du temps près de sa maison. Il engage la conversation à mon passage, m'explique que l'an dernier il avait trouvé sous l'arbre derrière lui une marcheuse transie par l'orage et l'avait abritée chez lui pendant deux heures à attendre l'accalmie. La conversation est agréable et sympatique. Il est viticulteur, sûrement premier métier du secteur, et m'entraine à voir le raisin de ses vignes. Il n'y a que la route étroite à traverser. Je goutte quelques grains de blancs, bien meilleurs que les précédents. Toute sa production est destinée à la cantine, c'est-à-dire à la cave coopérative qui produit le vin. Il me cueille une belle grappe à grignoter en chemin. Nous revenons à la maison pour le rinçage où il me présente son père, 87 ans, bon pied, bon oeil, qui travaille un coin de jardin. La conversation reprend à trois. Quand même au bout d'un moment, le viticulteur se rappelle qu'il a du travail et nous nous séparons. 

En route pour Canelli où je dois me ravitailler.

A Canelli, je ne trouve pas l'Alimentari, petite épicerie, promise par la description du chemin. Je demande à deux jeunes gars. L'épicerie, c'est le Lidl. Mais c'est loin, en périphérie de la ville et l'un propose de m'y emmener en voiture. Va pour le Lidl. En route, il m'apprend qu'il n'est pas italien mais albanais. Courses faites, je reviens à pied, 1,6 km non prévu, et trouve des alimentari qui auraient été assez proches. Je reprend ma route, collines, vignes, chaleur et arrive à Montabuone. Le chemin évite le bourg, plus que 7 km pour Terzo. Près du but, j'ai un doute sur la localisation du Ghiro qui se trouve à 3 km de Montabuone et 6,5 de Terzo. J'en veux aux indications du chemin. J'ai assez marché et ne veux pas revenir sur mes pas. Une camionnette sortant d'une ferme à petite vitesse me permet d'interpeller le conducteur. Bien sûr, il m'indique le chemin d'où je viens mais mon italien est suffisant pour lever sa méfiance et il propose de m'approcher du gîte. En route, il me dit être ouvrier agricole et que le temps fort de l'année, les vendanges, commencera demain. Avec mon accent, il me croyait tedesco, c'est-à-dire allemand. La route et longue et, finalement, il me dépose devant le Ghiro. Je le remercie infiniment puis fais la connaissance de mes hôtes, un couple de septuagénaires.

Je suis très bien accueilli avec une bouteille d'acqua frizzante fraîche et apaisante. Pour le dîner, on me convie à une table à trois couverts, je dîne avec mes hôtes. J'ai passé là un moment exceptionnel. Le dîner est très bon, la conversation roule sur le chemin, le temps, les vignes omniprésentes. L'hôte nous sert un vin Barbera de la production non commercialisée d'un de leur amis. Il est léger et très bon. Je pense immédiatement à nos vins de Loire. La dame corrige parfois mon italien, nous parlons de l'Italie, de la France où ces gens ont un fils installé en Dordogne. Le moment est magnifique mais le temps passe et la fatigue s'installe. Nous nous séparons à plus de 23 h, en leur disant que je ne comprends plus l'italien.

Le lendemain, direction Moretti. Le chemin indique plusieurs km à longer une route nationale un peu dangeureuse. J'ai déjà fait cette expérience les jours précédents, il n'y a pas de quoi être fier. La dame m'accompagne en voiture jusqu'à Acqui Terme (Eaux-Chaudes en VF). 


Acqui Terme est une jolie ville moyenne où une source coule à 74°c depuis fort longtemps puisqu'il y là des ruines de bains antiques. 

Je traverse la ville puis la rivière et comprend vite que j'ai mangé mon pain blanc. Je m'engage sur un chemin ardu et étroit qui n'a rien à envier aux sentiers difficiles des Alpes. Tomtom me dira que la plus forte pente était à 79%. Tout en haut, des antennes radio et téléphone. 


Et une dernière vigne. Je descends l'autre versant. Le chemin est jalonné de hameaux, tous déserts et sans commerces, je traverse des collines en sous-bois qui me rappellent le Morvan et arrive à destination. Demain est un grand jour, j'ai rendez-vous avec mes enfants à la gare de Campo Ligure.


A bientôt

Michel


Donc je quitte Moretti où j'ai bu de la bière Moretti (qui n'est pas fabriquée ici) et où l'hôtel n'avait que deux pensionnaires âgées et moi. Bientôt, un immense panneau m’indique que j’entre en Ligurie dans le domaine des montagnes de la mer, sic. Effectivement, ça monte sérieusement.Surtout dans le bourg de Tiglieto où les rues sont raides y compris pour les engins à moteur. Soudain, une voix m’interpelle dans un français sans le moindre accent italien : « Bonjour, vous pouvez déjeuner un peu plus loin, il y a un restaurant. », une dame dans son jardin. « Merci, j’ai ce qu’il faut dans mon sac-à-dos et j’ai rendez-vous avec mes enfants à la gare de Campo Ligure à 16h30. » « Alors, bon voyage. » « Merci, au revoir. » 

Je sors du village puis m’arrête pour déjeuner, ce n’est pas toujours le cas, souvent, je n’ai pas faim. Mes pique-niques sont surtout à base de fromage à pâte cuite, de pain et de pommes qui se tiennent bien dans le sac. Je repars, le chemin me paraît long, peu de balises, suis-je bien au bon endroit ? Je ne vois pas pas la barrière électrique à franchir pour entrer dans la pâture. Enfin une balise, virage à gauche et juste après la clôture. je décroche les deux fils électriques qui servent de barrière, les remets en place et m’engage dans un chemin étroit à flanc de coteau entre des broussailles assez épaisses, c’est ici le paradis des bouses. Heureusement, le temps est sec et un peu d’attention évite des déconvenues malodorantes. Sur et sous le chemin, il y a une conduite d’eau, tantôt apparente, tantôt enterrée. Sans doute pour abreuver les bêtes. Je me demande si l’installation de la conduite a créé le chemin ou si elle a suivi un chemin existant. En marchant, on a parfois de drôles de réflexions, je vous épargnerai les autres.

 Enfin après 45 minutes l’horizon s’éclaircit, je quitte les broussailles et me trouve dans un espace dégagé pierreux et à l’herbe plutôt rase. On pourrait tourner là un western, spaghetti bien sûr. Voilà la barrière de sortie de la pâture. J’approche de Campo Ligure. Les instructions disent, à ce stade, de suivre les balise jaunes. Je les vois, va pour ce chemin qui semble aller dans la bonne direction. Le rendez-vous est dans quarante minutes, je devrais être à l’heure. Seulement voilà, la ville est devant moi à ma droite puis  bientôt derrière moi à ma droite et le chemin se perd dans les prés. Je retourne, repère un passage, demande à un homme sur une échelle en train de tailler un arbre si Campo est bien par là, il me répond oui sans tomber, je fonce, je ne peux plus être à l’heure au rendez-vous. Arrivent les faubourgs de Campo Ligure, je demande le chemin de la gare à un couple près de sa maison, l’homme me répond et a plaisir à parler français, c’est sympathique, nous échangeons un peu, mais je suis attendu. Mon téléphone sonne, c’est Estelle, ils sont à la gare. Ce n’est pas ce que j’avais imaginé, je m’voyais déjà attablé au bar de la gare et les prenant en photo à leur arrivée. Raté. Je passe sous l’autoroute pour entrer dans la ville, c’est bien le chemin qu’on m’a indiqué et il est balisé chemin d’Assise. instinctivement je me baisse, le sol est boueux, pas de raison de s’attarder. Plus que 1 km, je marche d’un pas décidé et rythmé. Les enfants me voient arriver de loin et me donnent vite un surnom : Lapin Duracell. Nous avons plaisir à nous retrouver et nous allons au bar où j’engloutis 1,5 litre d’acqua frizzante fresca. Il a fait chaud aujourd’hui. Ce n’est pas fini, nous rejoignons l’hébergement qui est à 2,5 km en montée, l’Orti di Bertin. Ce n’est pas une exploitation horticole mais une exploitation potagère. Au dîner, nous avons des légumes bouillis accompagnés de charcuterie, il fait doux, nous sommes bien et satisfaits. Aujourd’hui, j’ai parcouru 34 km.

Campo Ligure

Le lendemain matin, nous partons pour nos trois jours de marche ensemble. Nous sommes hors de la ville sur une route peu fréquentée, peu pentue. Il y a du soleil, il fait bon, je suis aux anges, quel plaisir de partager mon voyage avec Estelle et Thibaut ! 

En chemin

Nous sommes sur l’AltaVia des Monts de la Ligurie. L’AltaVia est un GR de 400 km qui va de Vintimille à La Spezia et que je recommande aux amateurs de montagne. Bientôt , nous repassons dans le Piémont. Ici, les régions Piémont, Ligurie, Emilie-Romagne et même Toscane sont engrenées. Nous prenons un chemin qui monte et nous conduit à trois lacs artificiels dûs à des barrages hydroélectriques. Le premier est vide, le barrage ne sert plus que de passage aux randonneurs, les arbres envahissent sa base. Les deux autres lacs sont en eau. 

Lac artificiel. On a bien monté

Le paysage est beau avec les monts et les bois alentour. Nous déjeunons en sous-bois avec vue sur un des lacs puis reprenons notre chemin qui monte sérieusement. Des panneaux nous promettent bientôt un point de vue panoramique. Bientôt est relatif, voilà enfin le point de vue à 970 m d’altitude, nous faisons une pause et profitons du paysage qui s’étend au loin avec les monts et les bois, et plus près en contrebas, les lacs d’où nous venons. 

Au point de vue panoramique

Puis nous descendons vers Passo della Bocchetta, étape du jour. L’hébergement est à 4 km du col (passo), mais notre logeur, qui parle très bien français, organise la navette, c’est-à-dire qu’il vient nous chercher en voiture et nous raccompagnera le lendemain matin. Il est responsable de l’AltaVia et du chemin d’Assise, dans le secteur, et qui ne font qu’un. Douche, lessive, bière sur la terrasse puis dîner roboratif accompagné d’un Valpolicella. Belle journée.

L’AltaVia, bien balisée

Nous partons de la Boccheta pour Colle di Creto. Il fait soleil, l’air est doux. Les ronciers et les figuiers nous offrent leurs fruits. Cela nous régale, particulièrement Estelle.

Dégustation de figues

 Nous traversons un village puis le sentier devient soudainement étroit, pentu et difficile. Il nous mène au Santuario della Vittoria. La Victoire est bien honorée car l’accès par le chemin est vraiment ardu. Nous poursuivons, le chemin est toujours étroit, monte encore et, enfin, nous atteignons la crête. C’est le moment du déjeuner, nous faisons halte dans une prairie avec une très belle vue sur les monts et une petite ville en contrebas dans la vallée. Nous sommes récompensés de nos efforts. 

Pause méridienne


Chèvre acrobate

L’après-midi est un peu moins difficile avec des paysages somptueux sur les montagnes du Piémont ou de la Ligurie, nous sommes dans l’entre-deux. La journée se termine par une longue descente vers le bourg où nous sommes attendus, qui finit par un chemin pierreux et malcommode. Estelle et Thibaut sont devant, je trébuche et chute en silence sur le nez. J’accompagne ma chute et ai le temps de me dire que mes années de judo sont un bienfait. Je me relève, mes lunettes sont de guingois mais les verres ne sont pas rayés, l’avant-bras, le nez et la tempe saignent un peu mais après la douche, il n’y paraîtra plus. Le genou à peine douloureux, un accroc au pantalon que j’aurai à repriser. Tout va bien. Je rejoins les enfants qui m’attendent insouciants. « Pourquoi tu n’as pas appelé ? »  « C’est allé vite, pas eu le temps. » Nous arrivons à l’Hôtel des Chasseurs, daté sur sa façade de 1893. Nous craignons un peu de trouver des têtes de gibier naturalisées dans la chambre. Il n’en sera rien. Nous disposons d’un petit appartement, deux chambres, un salon, une salle de bain, pas de cuisine. Mais l’hôtel fait aussi restaurant. Tout est bien ce soir aussi.

Nous quittons Creto pour Passo della Scoffera. C’est déjà notre dernier jour de marche ensemble. Les paysages sont toujours très beaux. Monter, descendre pour passer les plis de la montagne. Nous apercevons la Méditerranée, nous sommes bien dans les montagnes de la mer. Hier aussi semble-t-il, mais je ne faisais pas la différence entre le ciel et l’eau. Nous traversons des pâtures où les vaches vont brouter au bord des précipices.

Vaches acrobates

 Elles sont aussi habiles que des chèvres. Nous passons près d’elles dans leur indifférence totale. Nous serons ce soir au refuge paroissial, rendez-vous nous est donné à l’église. Effectivement, le refuge est sous l’église, la cuisine est sous le clocher, le dortoir sous la nef. Entre les deux, la salle d’eau. La cuisine est grande mais ne nous inspire pas. Heureusement, il y a sur la place une pizzeria où nous passerons la soirée, un bar pour le petit déjeuner et l’arrêt du bus pour aller à Gênes.

Le lendemain, vendredi 6 septembre, pas de marche, j’accompagne mes enfants à Gênes où ils prendront le train pour rentrer chez eux. Nous prenons donc le bus, une heure de trajet pour descendre de la montagne à la mer à regarder le paysage en étant assis. Je trouve cela confortable. Nous avons décidé de voir la grande ville, le centre historique et le port, en marchant du terminus de la ligne de bus jusqu’à la grande gare ferroviaire. Nous sommes accueillis par une copieuse averse et nous nous réfugions dans un bar. La pluie se calme, nous partons voir l’ancienne porte de la ville, le palais ducal et la cathédrale puis le port où se trouve un magnifique galion du XVIIè siècle (réel ou réplique ?), le Neptune. 




Nous déjeunons, dans un restaurant près de la gare, d’un plat de spaghetti aux palourdes, premiers produits de la mer depuis mon départ de Turin. C’est le départ du train. Me voilà dans Gênes, je retraverse la ville avec le train navette et dégote un Carrefour City pour me ravitailler (pas trop dépaysé). Retour au refuge avec le bus. Je suis ravi d’avoir partagé ces journées de mon voyage avec Estelle et Thibaut, qu’ils aient eu plaisir à marcher dans ces monts que nous ne connaissions pas, à admirer les paysages, à goûter les fruits du chemin … Ne vous y trompez pas, le petit moment de blues est très passager. Ma détermination et la confiance dans mon entreprise sont totales. Je retourne dîner à la pizzeria, au grand étonnement de la serveuse. Demain matin, petit déjeuner au bar et nouvelle étape.

C’est le matin, je ferme le sac, passe le balai dans le refuge, dépose la clef dans la boîte aux lettres et en route … pour le bar … Le petit déjeuner est indispensable. Outre les efforts qui m’attendent, je sais bien que je serais assez vite de mauvaise humeur si j’étais amené à m’en passer. Les prix sont bon marché partout, 1 € l’expresso ou le café allongé -à l’américaine- et un 1 € la viennoiserie. 2 € pour démarrer, parfois un peu plus. 

Je pars, la petite route monte sérieusement puis se transforme en un large chemin. J’atteins la crête, je n’en ai pas fini avec les plis de la montagne et le dix de der est loin. Dans la vallée se trouve une petite ville et un drôle d’échangeur routier sur de hautes piles de béton. Il semble suspendu dans le vide. 



Le chemin descend vers le creux d’un pli, je traverse un hameau et m’engage dans une route bordée de maisons ouvrières. Des chiens, cinq ou six, sortent des jardins et m’aboyent violemment après, il y a un meneur, un petit blanc teigneux au poil frisé, les autres sont des suiveurs, ils n’apprécient pas l’intrus. La route me paraît plus longue qu’elle ne doit être vraiment. Je les tiens à distance avec la pointe de mes bâtons. Soudain un homme surgit sur la route, armé d’un tison d’au moins un mètre de long, le jette sur les chiens et leur crie dessus. Cela me permet de m’éloigner, les aboiements diminuent d’intensité. Je crois comprendre l’agressivité de ces chiens.

Poursuivons, la route se transforme en un large chemin avec très peu de balises. Suis-je au bon endroit ? J’arrête une voiture, l’homme jeune qui conduit me répond que je vais bien vers Barbagelata (Barbe-Gelée), mon prochain jalon. Le chemin est long et monte, monte encore plus avec un raidillon long lui aussi. Le ciel est gris, j’ai mis la cape sur le sac et enfilé le coupe-vent. C’est l’heure du déjeuner, au détour du chemin, il y a une route et, en surplomb, le monument commémoratif aux résistants fusillés (ce genre de monument est fréquent dans la région), mentionné dans les indications du chemin, je suis donc tout proche de Barbagelata. Et surtout, il y là un banc de pierre idéal pour le pique-nique. Je me restaure et me repose un peu, rends leur salut aux automobilistes qui passent sur la route et aux randonneurs qui sortent du chemin. C’est une constante, le week end, je croise quelques randonneurs et ramasseurs de champignons. Je ne m’attarde pas car le temps est devenu bruineux. Je ne verrai pas Barbagelata au drôle de nom car l’AltaVia bifurque juste avant l’entrée du village pour m’emmener dans un chemin en descente raide et étroit qui doit être un torrent les jours de fortes pluies. 

Sur l’AltaVia

Bientôt, je longe la rivière Aveto, traverse quelques hameaux et arrive à la route provinciale (semblable à nos routes départementales. C’est samedi, je croise un groupe de motards en balade. La pluie d’orage forcit, j’aimerais arriver, encore un km.Voilà Cabanne, c’est un petit village, l’hôtel Paretin est facile à trouver, je me mets immédiatement sous l’auvent de la terrasse, la pluie redouble.

Je m’installe puis descend prendre un verre (de bière) au bar. Il y a là quelques habitués. Ils parlent fort et la télévision plus fort encore car il faut bien l’entendre. L’ambiance est familiale et familière. L’hôtel est ancien mais je sens l’endroit chaleureux. L’hôtelière, Monica qui parle français, est une femme qui déborde d’énergie et mène rondement son personnel et ses clients. Je me demande si elle ne parcourt pas chaque jour davantage de kilomètres dans son hôtel que moi sur les chemins. Pour dîner, je suis dans la grande salle du restaurant, les tables sont couvertes de deux nappes en tissu, la première recouvre tout le dessus de la table, la seconde, plus petite, reçoit le ou les couverts. Nous sommes peu nombreux. La chaleur de la maison se retrouve dans le repas et la carafe de vin Barbera du Piémont. Monica me présente à la table voisine, deux couples dans la quarantaine, le pèlerin, le voyageur à pied que je suis. J’explique mon entreprise, mon discours est maintenant rodé. A nouveau, elle suscite étonnement et un peu d’admiration (le directeur de l’école d’italien à Paris m’a dit à plusieurs reprises que les Italiens préfèrent la voiture à la marche). Je me demande si mes interlocuteurs, ceux-là, ceux d’avant et ceux d’après, ne pensent pas « Ils sont fous ces Gaulois ! ». 


Une ruelle empruntée par les pèlerins depuis le Moyen-âge (qui venaient d’Irlande et allaient à Jérusalem)

Après le dîner, je parle de la météo avec Monica « Demain, la météo est très mauvaise. Il ne faut pas aller dans la montagne. Tu fais ce que tu veux mais ta chambre est libre et tu peux rester un jour de plus. Lundi, c’est bon. » Comme l’an dernier, je me fie aux gens du pays et décide de rester. D’autant que les indications du chemin pour la suite disent que si le temps est mauvais, il ne faut pas s’engager. Donc demain dimanche, repos forcé.

Ce dimanche 8 septembre, réveil naturel, tranquille. Comme j’ai bien fait, il tombe des cordes, ou des chiens et des chats, c’est selon. Il y a aussi des éclairs, cela durera toute la matinée. A l’heure du déjeuner, je me rends au restaurant, cette fois, il y a du monde. Nous devons être 25 ou 30. C’est à l’évidence un lieu prisé par les agriculteurs et les ouvriers des environs. Il y a là des familles avec trois générations, des couples plus ou moins jeunes. Un couple, sans doute d’octogénaires, accompagné de ses enfants, arrive. Le serveur lui indique une table dressée. Non, l’homme ne fera pas un pas de plus, il s’installe à la première table suivi par sa famille. Qu’à cela ne tienne, la table sera dressée, non pas contre eux mais pour eux. L’homme âgé gardera longtemps sur la tête sa casquette kaki de chasseur, c’est un patriarche. La sieste s’impose d’elle-même. Je redescends au bar dans l’après-midi, la télévision diffuse le grand prix de F1 de Monza. Ferrari gagne devant Mercedès, tout le monde est satisfait.

 Le temps s’est calmé, je sors repérer mon départ pour demain. Je dépasse Cabanne mais le ciel s’obscurcit soudain, de grosses gouttes éclatent au sol, je rentre dare-dare. A peine à l’abri, c’est la grêle qui rebondit partout. Je dîne sur une petite table du bar, la salle est fermée, je suis le seul client du restaurant ce soir. Monica m’offre la Grappa à la fin du repas. Elle continue de virevolter dans son établissement, il est bientôt 22 heures, elle est là depuis le matin.

Lundi matin, je règle mon dû, remercie et salue chaleureusement Monica et son entourage, et en route. Le soleil est revenu, Destination Monte Aiona. Le début est aisé puis le chemin monte bien, et devient en balcon, c’est-à-dire qu’il laisse une belle vue dégagée à droite sur le paysage, entre en sous-bois, plus de paysage du tout et descend fortement vers un torrent de la montagne que je franchis à gué. Là, je rends mon modeste hommage à Michel Legrand dont les chansons et la série d’été que lui a consacré France Inter m’accompagnent dans ce voyage. Je fais des ricochets, « Comme une pierre que l’on jette dans l’eau vive d’un ruisseau … » -Jean-Paul, tu n’étais pas né !-. Voilà, il faut remonter de l’autre côté, le torrent est bien encaissé, c’est assez difficile et cela aurait été un enfer sous la pluie.

Paysage de la Ligurie

Plus tard, dans les bois, le chemin s’élargit vraiment, de quoi laisser passer et même se croiser les gros engins des bûcherons comme les camions de débardage. Marcher là est confortable mais pendant des kilomètres, je ne vois pas de balises. Enfin en voilà une, c’est bon, Puis ça recommence, long chemin sans balise. Enfin une, et la sortie du bois. Puis un chemin en balcon qui serpente beaucoup. J’interroge un conducteur, Monte Aiona, c’est par là ? Oui, prochain chemin à gauche, ça monte, peut-être 5 km. C’est bien ça, ça monte, c’est long, je croise une voiture qui cahote sur les pierres du chemin. D’où sort-elle ? Et ça monte, j’entre dans la parc naturel, m’arrête devant des roches curieuses dont une aux formes animales. 


Monte Aiona - Les Pierres Borghese


Monte Aiona - Roche hippopotame ?


Je repars, le chemin fait une grande courbe et à la sortie, le refuge de Pratomollo (Pré mou, un plateau avec une pâture marécageuse). Je suis arrivé.

Il est près de 15 h, je n’ai pas déjeuné, on me sert une planche de charcuterie et de fromage, une bière et une part de tarte à la confiture. Cette pâtisserie est très courante dans la région, pâte sablée, confiture et lanières de pâte au dessus. Tout va bien. Je bavarde avec mes hôtes, lui parle très bien français sans l’avoir formellement appris mais en passant des vacances en France, il est très francophile, avec elle, je parle italien. Nous parlons de la montagne, mes informations disent 1500 m d’altitude, l’hôte me répond fièrement : nous sommes à 1503 m précisément. La maison est très grande, une maison de montagne sur trois ou quatre niveaux, je suis dans une minuscule chambre à deux lits superposés avec un éclairage blafard et une prise de courant, essentielle pour recharger mes appareils. La salle d’eau, impeccable, est au bout du couloir qui dessert beaucoup de chambres et de dortoirs. Une nouvelle fois, je dois être le seul client. Au bar, toutefois, passent des ramasseurs de champignons qui font une pause et bavardent avec les hôtes.

En fin d’après-midi, je descends dans la grand salle du bar-restaurant où j’ai repéré une petite bibliothèque et demande si je peux prendre un livre. L’homme me fait un inventaire rapide, Jules Verne, Victor Hugo, Paul Eluard en édition bilingue et Cirano da Bergerac en italien. J’emprunte ces deux derniers. Je ne connais pas Eluard et ne m’avise pas à le lire en italien. Il s’agit de courts poèmes consacrés à des personnalités artistiques ou autres de son entourage. Je passe assez vite à Cirano que je connais mieux (la mort de Cyrano m'émeut toujours), feuillète le livre puis cherche la tirade des nez qui est aussi un souvenir de collège. Là, c’est un régal, je m’amuse beaucoup à cette lecture. 



Mon hôte me fait remarquer que c’est de l’italien qui a peut-être 100 ans. Peu importe, je comprends suffisamment les mots tordus et la truculence donnés par Rostand. Je suis bien le seul client, je dîne à une table et mes hôtes à une autre au bout de la rangée. Je monte à la chambre, je n’ai plus envie de lire, la musique de Michel Legrand finira bien ma soirée. Il n’y a pas d’internet, à peine plus de téléphone, et parfois pas l’électricité qui est produite par un groupe électrogène et des batteries solaires. Qu’importe.

Au matin du mardi 10 septembre, je pars pour Colle Criola. Pas si vite, je dois traverser le pré marécageux et trouver les balises du chemin. Je ne les vois pas et me fourvoie dans un bois pentu. Finalement, je retourne au refuge, à l’étonnement de mon hôte. « Comment est-ce possible ? Les balises sont au bout du pré à gauche. » Je repars, cette fois c’est bon et m’engage dans une sentier pentu et pierreux en descente. J’ai perdu une heure mais l’étape d’aujourd’hui n’est pas très longue. Des clarines tintent, je m’attends à voir des vaches. Eh bien non, ce sont des chevaux en liberté qui paissent ou qui broutent les feuilles des arbres.

Cheval avec clarine


 Je traverse des villages, suis des routes goudronnées passent dans des sous-bois, la routine, quoi ! Je croise des ramasseurs de champignons, leur parle de Colle Criola. Bien qu’étant du coin, ils ne connaissent pas ! Je poursuis et arrive à destination en milieu d’après-midi. Je comprends, Colle Criola, c’est trois maisons entourées de prés et de champs cultivés. Facile de voir la maison jaune (accrochée à la colline), je sais que la clé est sur la porte. J’approche et suis bientôt suivi par un grand gaillard souriant en tenue de travail agricole. C’est le propriétaire. Il me fait visiter le rez de chaussée où je vais disposer d’une chambre, d’une salle d’eau et d’une grande cuisine parfaitement équipée. Il m’a apporté de quoi dîner notamment des oeufs de ses poules et des tomates de son jardin, magnifiques. Demain, je n’aurai qu’à laisser ma clé sur la porte à  l’extérieur comme je l’ai trouvée en arrivant. Tout est très bien. 

Par curiosité, je monte à l’étage où il y a deux chambres et, le croirez-vous, je suis le seul locataire.
Je m’installe puis, comme chaque soir, veux téléphoner à Rolande, mon épouse, qui suit mon voyage jour après jour et anticipe même en me signalant les difficultés qui m’attendent le lendemain. Pas de réseau dans la maison. Je sors et machinalement tire la porte d’entrée et me retourne immédiatement. La porte à une poigne fixe à l’extérieur qui ne permet pas de manoeuvrer le penne, et bien sûr, en bon citadin, j’avais mis la clé à l’intérieur. Je suis enfermé dehors. Heureusement, j’ai mon téléphone, forcément, et appelle le propriétaire : « Arrivo subito. (J’arrive tout de suite.)» Bien, j’attends. 10 mn, 20 mn, 30, 45. Je rappelle en insistant un peu plus, même réponse. Le soir vient, il y a du vent, l’air est humide, je commence à sentir le froid. A nouveau, j’attends 20 mn, 30 mn. Je rappelle marquant cette fois mon inquiétude, la nuit qui vient et ma lassitude. « Arrivo. » un quart d’heure après, un petite voiture se gare dans la cour de la maison voisine qui est en travaux. Le Gaillard en descend (j’imagine que les trois maisons du hameau lui appartiennent), Il est rafraîchi et porte une belle chemise à carreaux. Il est venu avec un tiroir en bois dans lequel il y a une multltude de trousseaux de clés. Tout en marchant vers la maison jaune, il choisit une des clés et, en une demi-seconde, ouvre la porte. J’ai attendu une heure trente pour une demi-seconde d’action. Je crie au miracle et le remercie même si, intérieurement, je suis mécontent d’avoir tant attendu puis nous nous saluons. Ah oui, j’ai eu le temps de téléphoner chez moi et bien sûr de rappeler après la mésaventure. Bref, je me réchauffe et me fais un solide repas de pâtes, oeufs, jambon, tomates, fromage ; tout y passe. Le lendemain matin, je sors prendre mes chaussettes étendues que j’avais oubliées, en prenant soin, cette fois, de mettre la clé de la maison dans ma poche.


Ce mercredi matin 11 septembre, je me fais un bon café avec la fameuse cafetière italienne à 8 pans en aluminium de Bialetti. Puis je range la cuisine, balaye, et en route. Je sors de la maison, la clé dans ma poche, tire la porte et mets la clé dans la serrure côté extérieur comme convenu. 

Je pars, le soleil est de la partie, l’étape est courte 16 km, tout va bien. Ce jour-là, l’AltaVia ne présente pas de difficultés particulières, je traverse des pâtures, admire un arbre isolé qui se découpe sur le ciel. 

Les pâtures en Ligurie

Arbre isolé en Ligurie


Je suis très touché par ces arbres isolés, ils sont souvent très beaux n’ayant pas eu à subir de concurrence et leur solitude me semble majestueuse. A la fin du parcours je découvre un champ d’éoliennes près d’une crête. Curieusement, bien qu’étant rapprochées, elles ne tournent pas à la même vitesse et produisent, outre l’électricité, un ronflement grave, continu et fort. 

Paysage de Ligurie

Eoliennes près de Passo Cento Croci


J’arrive en début d’après-midi à Passo di Cento Croci, un carrefour de deux routes, qui n’est pas plus grand que Colle Criola. 

Colle Craiola - La maison jaune

Il y a là quand même un bar-trattoria mais je n’ai ni faim ni soif. Le B&B des Cento Croci étant complet, j’ai dû réserver à l’hôtel Alpino qui se trouve à quelques km de là. 

L’aubergiste, habituée aux pèlerins d’Assise, propose une navette. Comme convenu, j’appelle donc l’hôtel et attends la voiture qui viendra me chercher.

J’arrive à l’hôtel, une haute maison de trois étages à flanc de montagne. Je suis accueilli, dans la petite salle du bar-restaurant, avec deux parts de gâteaux et une bouteille d’eau par une dame volubile qui parle bien français. A la lecture de ma carte d’identité, elle me dit que nous avons juste un an d’écart, elle étant plus jeune. Il y a là deux autres personnes, un homme et une femme, plus âgées, sans doute des octogénaires. Lui connaît les ports français, c’est un ancien de la marine marchande et me parle de Marseille, Bordeaux, Le Havre, … En italien car il a oublié le français dit-il. Entre un homme dans la maturité, grosse sacoche de cuir à la main, visiblement habitué du lieu. On lui présente le pèlerin, ce qui ne suscite chez lui aucun intérêt, il travaille, c’est le médecin. Tout le monde disparaît dans l’arrière salle du bar, endroit familial privé où la télévision tonitrue, sauf quand le médecin est là.
Sur les murs de la salle où je suis, il y a des tableaux représentant l’hôtel, la plus ancienne a près d’un siècle et des diplômes qui sanctionnent les mérites de cuisinière et d’hôtelière de Vittorina. Cela est en phase avec la collation que je viens de prendre. Les consultations terminées, tout le monde réapparaît, le marin finissant de se vêtir dans la salle de restaurant et où les médicaments, apportés par le médecin, sont promptement rangés dans le tiroir de la commode.

On me conduit à la chambre, tout en haut de la maison. Les sanitaires sont communs, La chambre a un grand lit et un lavabo. Tout cela est ancien mais tout à fait correct. De ma fenêtre, j’ai une vue magnifique sur la vallée et l’autre versant au loin. Au moment du repas, on me demande si cela ne me dérange pas de dîner avec la famille. Bien sûr que non. 

Dans la salle, sont dressées une petite table avec un couvert et une tablée pour huit personnes. Les convives, tous âgés, arrivent de leurs chambres, sauf le dernier qui vient de l’extérieur et me fait l’effet d’être un vétéran des courses en montagne. Vittorina est en cuisine, sa chaise au bout de la tablée est vide. Le repas débute avec la pasta, des trofie al pesto, que je crois d’abord être des haricots verts. Le marin me dit fièrement que c’est une spécialité ligurienne. Une convive n’est pas satisfaite du service, quelque chose doit déroger à ses habitudes, elle en fait part sévèrement à ses voisins. Puis les conversations familiales se déroulent normalement. Suivent la viande et les légumes. Vittorina vient à table, les trofie ont sûrement refroidi.

J’ai fait une belle rencontre avec la souriante Vittorina, nous avons bavardé de tout, de rien, du chemin, des pèlerins, de l’Italie, de la France, de nos enfants, en italien ou français. 

Jeudi 12 au matin, je reprends la navette, c’est Vittorina qui conduit accompagnée de la Vielle dame qui m’avait aussi accueillli la veille, ça fait une promenade. Nous nous séparons à Passo di Cento Croci. Vittorina devine que je vais aujourd’hui à Adelano di Zeri, me dit que ça monte et me donne pour mission de transmettre ses salutations à mes prochains hôtes. Le temps passe, elle doit retourner à sa cuisine préparer le déjeuner, nous nous embrassons comme de vieux amis et nous séparons.

En route pour Adelano. La distance à parcourir est la même que pour mes dernières étapes mais, et je n’y avais pas prêté attention, le temps estimé est beaucoup plus long. Je traverse le carrefour où j’étais arrivé la veille, je suis toujours l’AltaVia qui portera bien son nom aujourd’hui. La petite route monte gentiment puis je prends un chemin qui traverse une prairie et un très beau bois de hêtres, là ça grimpe sérieusement jusqu’au Passo Bocca del Lupo. 

A partir de là, deux possibilités, un chemin peu pentu ou un chemin plus « sportif » toujours en montée. Bon, je ne trouve que les balises du chemin sportif. Je ne vais pas chipoter, je m’engage. Maintenant ça grimpe durement, heureusement que j’ai mes bâtons. 
Les racines des arbres font parfois des escaliers, c’est long et pénible, en sous-bois et totalement seul. Ma confiance est mise à l’épreuve et ma solidité aussi, mais je surmonte. 

Le chemin finit quand même par s’élargir et suivre à peu près une courbe de niveau. A nouveau, le chemin est très long et il y a peu de balises, parfois, je me sens un peu impatient. Je croise deux ramasseurs de champignons, nous échangeons, ils me confirment que je suis sur le bon chemin, m’interrogent sur mon parcours, ils sont étonnés et derrière leur sourire amusé, il me semble percevoir « Ils sont fous ces G… » Je continue, c’est long, enfin une ultime balise et la sortie du bois. Je découvre un mont pointu à ma gauche, une pente vertigineuse pour qui serait encore plus atteint que moi, des herbes hautes. 

Le bois et les hautes herbes du Monte Gottero


Je doute, retourne sur mes pas, revois la balise. Pas de chemin dans l’herbe ni au long du bois, je suis l’indication de la balise, tout droit et m’engage dans les herbes. Puis apparaît une grosse pierre masquée par l’herbe, elle porte un trait de peinture blanche et un rouge qui m’invitent à prendre à gauche vers le sommet. C’est bon, je commence à monter, mais j’en ai assez, c’est l’heure du déjeuner, je me retourne et dépose le sac et j’ai devant moi un paysage somptueux de vallées et de monts.

Restauré, un peu reposé, je raccroche le sac-à-dos en prenant soin de ne pas tomber dans la pente et je pars à l’assaut du mont. Une deuxième pierre avec balise m’encourage. 150 m  de montée. Mais je ne suis pas seul au sommet, il y a là deux jeunes hommes avec sac-à-dos et des chiens, ils n’ont pas l’air fatigué et un couple de touristes italiens qui contemple le paysage visible au loin sur 360 °. Les premiers ne répondent pas à mon bonjour. Le second accepte la conversation. Il m’apprend que je suis en Toscane. Je leur montre ma satisfaction d’être en Toscane, but de mon voyage. il m’explique que les montagnes au loin devant nous sont en Emilie-Romagne, A droite, c’est la Ligurie et à gauche au loin, le Piémont.

Vue du sommet de Monte Gottero - Au loin, l’Emilie-Romagne

Paysage de Toscane/Ligurie

Bien sûr nous parlons de mon voyage et eux, me disent habiter à une centaine de km et être venus en voiture. Donc je suis en Toscane et j’y étais sans le savoir, sur le mont Gottero qui culmine à 1 640 m d’altitude. Il y a là un calvaire, un croix de fer comme au col de même nom. 

La croix de fer du Monte Gottero avec la balise de l’AltaVia

Chaque année, une fête pour le début de l’été réunit ici les habitants des trois vallées avoisinantes. C’est bientôt le milieu de l’après-midi et j’ai encore à marcher. Je salue les touristes italiens et pars dans la descente.

La pente est aussi ardue que celle de la montée, le chemin creux est pierreux et bordé de deux talus taillés à la verticale sur 1,5 m où la terre est à nu. Bientôt le chemin entre dans un bois où les arbres sont très hauts. La descente est très longue et peu balisée. Enfin, je rejoins de larges allées en forêt, c’est confortable, j’avance. Un doute me prend, je reviens sur mes pas, 400 m au moins, effectivement j’ai manqué une balise qui m’invitait à virer Je l’ai peut-être vue sans en être conscient. La balise m’envoie dans une descente en sous-bois où le chemin est à peine visible. Les balises deviennent essentielles. Heureusement elle sont plus nombreuses par ici. C’est long, ça n’en finit pas. Je descends, vire à droite, à gauche, j’enjambe des chablis. Puis je longe un muret de pierres surmonté d’un grillage, et des toits apparaissent, j’approche du but, je suis à … Casa Biagi. 

Petite déception. Un rapide coup d’oeil à Maps sur le téléphone m’indique qu’il me reste 1,5 km à parcourir sur la route. Elle descend, je suis dans une vallée mais remonte en arrivant à Adelano. Je sens la fatigue, demande à un homme paisiblement installé sur la terrasse de sa maison, où se trouve l’agriturismo La Vecchia Cascina (la Vieille ferme). 

La Vecchia Cascina
« Prendre à droite, peut-être à 1 km. » En route, me voilà bientôt dans le hameau agricole de la Vieille ferme où je dépose mon sac devant mon logement d’une nuit.

Un couple vient de la maison voisine à ma rencontre, je me présente mais Je le sens un peu méfiant. Peut-être se demande-t-il à quelle sorte de pèlerin il peut bien avoir affaire ? Assez vite je transmets à mes hôtes les salutation de Vittorina et instantanément je les sens se détendre. « Vous venez de l’Albergo Alpino ? Oui. » La dame m’explique avoir été la voisine de Vittorina et que leur amitié est très ancienne. Nous entrons dans la petite maison dédiées aux visiteurs. Elle peut accueillir 4 personnes, au rez-de-chaussée, un cuisine et un séjour, à l’étage deux chambres et la salle d’eau. Tout est récent, très propre et très net. Le décor doit porter l’empreinte de la dame, tout de féminité. Je suis dans un cocon.

 On m’apporte le dîner tout à fait bien avec un magnum de vin (mes hôtes n’en boivent pas), on m’allume la télévision pour que je sois bien. J’ai tout ce qu’il faut pour le petit déjeuner et je me ferai un café avec une Bialetti. 

Au matin, alors que je prépare mon sac, mon hôte vient me voir pour s’assurer que tout va bien et me dit que le chemin d’aujourd’hui sera bien plus aisé que celui d’hier. Salutations et je retourne à Adelano. La petite route monte et je marche lentement, le résultat de l’effort d’hier et des muscles qui ne sont pas encore chauds. Le parcours d’aujourd’hui est prévu pour 25 km et 7h30 jusqu’à Alpicella. Le téléphone bipe, je reçois un texto de mon hôte de ce soir. « Je ne pourrai pas être au chalet avant 20 h et non à 19 h comme convenu. Maintenez-vous votre réservation ? » Bien sûr que je maintiens la réservation, va pour 20 h.  

Je passe Adelano, un autre hameau et bifurque dans un ancien sentier muletier qui monte, atteint et poursuit sur la ligne de crête peu élevée. Encore un beau paysage dégagé et ensoleillé. Je descends l’autre versant pour trouver une route qui sera longue jusqu’à un domaine pavillonnaire clos où je salue le gardien. Puis je prends un large chemin sans dénivelé et je marche d’un bon train. Bientôt, je rencontre un couple de randonneurs italiens qui va dans la même direction que moi. Echanges rituels, il habite la région et randonne à la journée. Je les quitte pour aller à mon rythme qui est plus rapide, je dois marcher à 5 km/h, peut-être plus. Le soleil donne, il fait chaud. Plus loin, une nouvelle sensation arrive, il fait plus doux malgré le soleil et je reconnais l’air marin iodé, effectivement la Méditerranée est à portée de regard, la côte est découpée. C’est curieux, je suis en hauteur et l’air que je respire est celui de la mer. Je vois même nettement un bateau de transport de marchandises, pas des plus gros, un caboteur sans doute. Le port de Gênes n’est pas loin.

Au fond, Les Alpes Apuanes
Même endroit à droite. Au fond, la Méditerranée (l’air marin à la montagne)

Le chemin se poursuit sans difficulté, me voilà à Alpicella en milieu d’après-midi. Je m’attendais à voir un bourg mais ce n’est pas du tout cela. Alpicella est un col désertique. 

Une seule maison pas tout à fait achevée avec un bétonnière devant. Faisons le point avec les panneaux. 1- je suis bien à Alpicella, 2- je suis bien sur l’AltaVia, il y a une balise du GR, 3- la Baita della Luna (le Chalet de la Lune) est plus loin sur le GR à 1,5 km.

L’AltaVia à la limite de la Ligurie et de la Toscane

Je poursuis donc et m’engage dans une forêt aux grands arbres. Le chemin est plutôt chaotique et boueux. Le parcours est fléché. Baita della Luna, prendre à droite, puis, plus loin, à nouveau à droite, quitter l’AltaVia, le chalet est à 800 m. Le chemin monte fortement. J’arrive au sommet de la colline, il est un peu plus de 16 h. Le chalet est là, soigneusement fermé. Je dépose le sac sur l’étroite terrasse. J’ai quatre heures devant moi et commence l’inspection du lieu.

Le chalet est une maison blanche en dur à un étage. Les spots accrochés en haut du mur témoignent de la présence de l’électricité. Sur la porte, un panonceau de bois précise les prénoms des gérants, Renzo et Mirella avec leurs numéros de téléphone. Je reconnais celui de Renzo. Hors juillet et août, le chalet est ouvert sur réservation uniquement. Devant la maison, un espace à l’herbe tondue est bordé d’un côté par une barrière de sécurité en bois qui protège de la forte pente et de l’autre par la forêt. En face, l’unique chemin par lequel je suis arrivé. Une balancelle sans coussins avec un écriteau invitant à ne pas s’asseoir. 

Derrière la maison, un espace encombré qui sera sûrement nettoyé. il y a là aussi un foyer dont je ne sais s’il sert de forge ou de barbecue, ou peut-être les deux. L’après-midi s’étire, le soleil baisse sur l’horizon. Je n’ai rien d’autre à lire que le « Anti-fautes d’italien » de Larousse. La nuit vient, la fraîcheur aussi. Je me couvre chaudement, je suis au milieu de nulle part.

Soudain, à 19h50, deux phares sur le chemin apparaissent. Une Fiat Panda 4X4 s’arrête devant la longue barrière. En descend un homme dans la cinquantaine qui se confond presque en excuses de n’avoir pas pu venir plus tôt. Tout va bien, c’est ce que nous avions convenu. Je suis content de sa présence et de pouvoir entrer dans le chalet. 

Au rez de chaussée, un grand séjour et une cuisine interdite aux visiteurs. « Attenti, il cuoco morde ! ». A l’étage, le dortoir, la chambre de Renzo et la salle d’eau. Je m’installe, prend une douche chaude puis descend pour le dîner. Renzo a revêtu la tenue de cuisinier, tablier blanc et bonnet blanc. Ça valait le coup d’attendre, Renzo me prépare un dîner complet et vraiment très bon, antipasti, pasta, omelette et patisseries, le tout accompagné d’un vin rouge de l’Ombrie, léger et très bon aussi. Nous dînons ensemble, Renzo s’arrêtant à la pasta. Nous bavardons de choses et d’autres, de l’AltaVia et des randonneurs qu’il connait bien. Il y a aux murs des lettres et des cartes de remerciement du monde entier. Et nous passons aux mérites respectifs des cuisines italienne et française que Renzo a étudiées. Il me parle avec émotion du Chateaubriand qui est, pour lui, le sommet de notre art culinaire. Je crois voir qu’il en a les yeux humides. A la fin du repas, il sort des liqueurs de sa fabrication, un limoncello et une à la figue. Ma préférence va naturellement à la première. Une belle soirée qui me fait oublier l’attente de l’après-midi.

Samedi 14 septembre, je quitte la Baita della Luna et Renzo en le remerciant, et avec d’amicales salutations réciproques. Destination Aulla (c’est une ville, j’en suis sûr) où j’ai réservé à l’Abbazia di San Caprasio. La journée commence bien, au premier carrefour, je rencontre une belle jeune femme qui fait du jogging avec son chien. Elle s’arrête, récupère son souffle, nous échangeons quelques considérations sportives, je lui indique le chalet où elle peut boire, puis … je reprends ma route, je ne sais pas si elle est allée au chalet.

Tout va bien, je descends le chemin, une balise précise que je suis à nouveau à la limite de la Ligurie et de la Toscane, puis une petite route qui me conduit au village de Meredo. 

Meredo, rue couverte - L’AltaVia
Meredo, la balise est sur le mur
L’AltaVia traverse le village aux allures médiévales, passe par une rue couverte. Je croise une habitante âgée et volubile avec qui j’échange quelques mots puis m’engage dans un sentier étroit en forte descente, longe une petite ferme avec une vigne peut-être abandonnée, cueille une grappe et continue la descente jusqu’à la rivière au fond du val que je traverse à gué pour remonter sur l’autre versant. Le lieu est boisé et sombre, pas de quoi s’attarder. Le chemin grimpe, me voilà assez haut au dessus de la vallée du fleuve Magra. Puis traverse un nouveau village où un très beau pin parasol s’offre à la vue du voyageur. C’est maintenant la descente vers le Magra et Aulla.

Vue de la vallée du fleuve Magra
J’arrive à destination en traversant le fleuve par le grand pont routier, passe devant l’abbaye en centre-ville et poursuis jusqu’à la terrasse d’un bar pour y boire une bière. Il fait chaud en ce début d’après-midi. Reposé, je passe au distributeur de billets, me ravitaille à la supérette puis revient et me présente à l’abbaye. Je suis accueilli par deux dames énergiques qui m’offrent à boire de l’eau et des gâteaux secs avant de me conduire au logement. Il n’y a pas de repas ni de petit déjeuner prévus. Je règle l’hébergement, donativo (chacun donne ce qu’il veut, je donative au dessus du minimum attendu). On me présente les lieux, dortoirs des hommes, salle d’eau, coin cuisine, on me remet la clé de la maison, à déposer le matin en partant. Comme de coutume dans les établissements religieux, la maison est remarquablement propre et en très bon état. Dans le dortoir, je rencontre Keith, un Québécois qui suit la Francigena, David, un Parisien, en chemin pour Jérusalem et un Italien dont j’ai oublié le nom, séparé de sa femme qui est dans l’autre dortoir.

Nous nous retrouvons tous les cinq pour aller dîner dans une pizzeria de l’autre côté du fleuve. Nous faisons davantage connaissance, Keith, un cinquantenaire, aime à marcher en Europe. Il connaît la Bretagne, la côte charentaise, le chemin de Compostelle et maintenant la Francigena. David, un trentenaire très croyant, a pris un congé sabbatique pour se rendre à pied à Jérusalem en 10 mois. Il doit prendre le bateau à Bari pour l’Albanie puis traverser ce pays, la Turquie, le Liban et Israël. Le couple italien, quarantenaire, très croyant aussi, suit la Francigena pendant ses vacances. Il est concessionnaire automobile (six marques représentées, dont Peugeot, et près d’une trentaine d’employés). L’épouse italienne prend quelques réservations de nuitées pour Keith, franco et anglophone, pendant que nous attendons d’être servis. L’ambiance est bonne, c’est la première soirée que je passe avec d’autres randonneurs pèlerins. La cuisine est bien aussi, le vin n’est pas à la hauteur de ceux dont j’ai parlé. Notre Italien, qui n’en boit pas, nous dit que c’est un vin pour pèlerins … 

Aulla est en Toscane, très proche de la Ligurie. Cette fois, c’est sûr, je serai en Toscane jusqu’à la fin de mon voyage.

Pin parasol sur l’Altavia près d'Aulla
Dimanche 15 septembre, nous devons quitter l’hébergement de San Caprasio avant 8 h pour permettre l’entretien du lieu. Avant 7 h, Keith et le couple italien sont partis sur la Francigena alors que David dort encore. Puis nous sortons, David et moi, à 7h45 après avoir déposé nos clés dans l’entrée et tiré soigneusement la lourde porte du bâtiment, porte à l’italienne, c’est-à-dire sans poignée articulée. A deux pas, nous trouvons un bar ouvert avec sur la vitrine un grand dessin d’un pèlerin. David se contenterait d’un simple café. Un peu court pour commencer une journée de marche. Nous nous installons et je lui offre le petit-déjeuner, un grand café avec une viennoiserie. Après nous nous séparons avec les salutations d’usage : Bon chemin à toi. Lui suit la Francigena et moi le Chemin d’Assise. Je traverse Aulla pour trouver la route provinciale et quitte l’AltaVia qui finit à La Spezia à 25 km au sud-ouest. 
Entre Aulla et Monzone - Premiers oliviers toscans

Entre Aulla et Monzone - Premiers cyprès toscans

Je vais à Monzone à 20 km où j’ai réservé à la paroisse de la ville.
Il fait doux, le ciel est gris mais il ne pleut pas. Il y a de la circulation à la sortie de Aulla mais bientôt, le chemin bifurque à gauche pour monter fortement sur une colline et suivre une parallèle à la route. Je passe devant deux belles maisons à main droite et dois bientôt redescendre vers la route qui est en contrebas.


Entre Aulla et Monzone - Les Alpes Apuanes

 Les indications sont peu claires et je ne vois pas de balises, j’ai devant moi un grand pré avec une parcelle de vigne cultivée. En bas, près de la route, des constructions, un hangar et une villa. J'imagine une sente entre les deux. j’entre dans le pré (j’étais allé plus loin sur le chemin sans reconnaître les indications que j’avais), longe la vigne, descend dans l’herbe pour rejoindre ce qui ressemble à un sentier sous une ligne électrique, arrive près de la villa. 

La villa et sa cour, très bien entretenues, sont en contrebas et  occupent l’angle du pré, les deux côtés sur le pré sont fermés par un muret surmonté d’une grille blanche qui sont franchissables. Il y a deux grands portails, un ouvre sur le pré, l’autre en face sur une large allée ouverte qui conduit à la route. A côté, un long grillage ferme l’espace du hangar où se trouvent aussi des camions et d'autres véhicules. Une entreprise donc. Bien sûr il n’y a pas de passage entre les deux propriétés. Heureusement, le muret donne aussi sur la grande allée au delà du portail. Je décide donc d’enjamber ce muret et sa grille et de sauter sur la grande allée. Des briques faîtières du muret écornées, à l’angle du grillage, m’indiquent que d’autres sont passés par là. Je pose mes bâtons, passe le sac-à-dos, empoigne la grille et monte sur les briques, enjambe la grille et me laisse glisser au long du muret qui est plus haut du côté de l’allée que du pré. Je récupère mon sac-à-dos et m’harnache quand, en italien : « Vous auriez dû m’appeler, je vous aurais ouvert ! ».  Une dame sur le balcon de la villa, en robe de chambre, m’interpelle : « Vous êtes pèlerin, où allez-vous ? », « Je suis le chemin d’Assise, ce soir je serai à Monzone. » «  Ah bien, à la route prendre à gauche. Buon viaggio. » « Grazie mille, Arrivederci. »  Cette habitante doit être accoutumée à voir des zozos à sac-à-dos franchir son muret ne respectant pas tout à fait la propriété privée.


Me voilà donc à nouveau sur la route pour environ 2 km jusqu’à Pallerone où je tourne pour m’engager dans un massif boisé assez joli aux larges chemins. Parfois, j’entends des coups de fusil, c’est jour de chasse. Heureusement, ils sont lointains. Je quitte le massif, prend une petite route qui monte vers Ceserano. Au bord de la route, un cyprès bien droit puis des oliviers, je perçois les prémices des paysages toscans que je connais. C’est bon ! A l’entrée d’un chemin, je fais une pause technique et restauratrice. J’en suis à la phase restauration quand une Vespa s’arrête. Un couple casqué, elle sur la banquette arrière domine son compagnon qui est aux commandes. « Bonjour, vous allez à Monzone ? Oui. D’où venez-vous, où allez-vous ? … Ho ! De Turin et même de Paris ! … Nous, nous habitons en Ligurie. » Je sens un peu d’admiration. Ils doivent être sportifs. Ils sont jeunes et souriants. 

Une belle image sur le chemin. Le soleil est là, la petite route serpente, je traverse des hameaux plus ou moins déserts, c’est l’heure du déjeuner. Je continue et arrive à Campiglione, bourg perché sur la colline.

Campiglione - Le clocher

 Il y a là, sur la terrasse devant l’église, un banquet, peut-être 60 convives ou plus. Une fête de famille ? Une fête de village ? Un ancien attablé me suit du regard avec attention. Il n’est peut-être pas habitué à voir des marcheurs, comme peuvent l’être les gens du village ? 

L’église est grande et le clocher séparé est très beau. Je sors du bourg (curieusement, la vue du banquet ne m’a pas donné faim), la route descend en lacets jusqu’au fond de la vallée de la rivière Aulella que je traverse puis tourne à droite face à une muraille de roches.

Plus que 2 km. J’entre dans Monzone, passe devant l’hôtel-restaurant qui m’avait refusé la réservation, demande où se trouve l’église, on me dit au long de la voie de chemin de fer, sans traverser passage à niveau. Bientôt, un panneau me confirme la proximité d’une église baptiste. Voilà la petite église, il est 16 h, j’appelle le prêtre. « Arrivo subito. » Tiens j’ai déjà entendu ça ! Une demi-heure passe, puis trois quarts d’heure. Je soupçonne n’être pas au bon endroit. Je regarde Google maps. Il y a, à un quart d’heure d’ici à pied, Monzone Alto, un village historique avec une grande église. 

En route. J’arrive devant Monzone Alto, village médiéval haut perché sur un piton rocheux. De quoi se prendre pour le Guillaume de Baskerville, du Nom de la Rose. L’église est au sommet, ça grimpe fort. Me voilà sur le parvis. Tout est désert. Je rappelle le prêtre. « Ce n’est pas du tout là, l’église est près du passage à niveau. » Encore raté ! La fatigue et la déception s’accentuent. Je reviens à Monzone, me renseigne à nouveau sans être mieux informé, franchit le passage à niveau, prend à gauche une rue parallèle à celle l’église baptiste et, miracle, une belle église catholique enserrée entre des maisons apparaît. Je m’approche, un homme lit le journal dans la cour de sa maison et m’interpelle : « Vous êtes le pèlerin, je vous attendais, le prêtre est parti. Je vais vous conduire à la salle paroissiale. » Ouf, je suis enfin arrivé ! La salle est à deux pas, près de l’église. 

Nous entrons, deux lits de camps sont debouts contre le mur du couloir. Je dois en prendre un et l’installer dans la salle du catéchisme. Il y a là des tables de Formica organisées en un rectangle avec des chaises tout autour. Aux murs, des dessins d’enfants avec des questionnements religieux. Instantanément des souvenirs de mon enfance et des leçons de catéchisme me reviennent en mémoire. Pour les sanitaires, je dispose d’un lavabo avec eaux chaude et froide et de toilettes, accessibles par l’extérieur. Voilà. Le prêtre ne veut pas de paiement. En partant, laisser la clé sur la porte. C’est spartiate mais ça me convient bien, et j’ai un toit pour la nuit.

Je m’installe, c’est vite fait puis sors prendre une bière au bistrot du coin. Il y a là de jeunes couples avec enfants, peut-être certains sont-ils de la famille du patron ? Les hommes se chamaillent à propos de millions d’euros qu’ils n’ont pas. On parle fort. La bière est bonne, j’en bois deux. Puis c’est l’heure du dîner, je cherche où aller et ne trouve que le restaurant de l’hôtel qui m’avait refusé. Pas rancunier, j’y vais. Je fais bien, la salle est grande, il y a déjà quelques convives, dont deux jeunes couples, un à ma droite, l’autre à ma gauche, qui ont des conversations de jeunes couples. Je commande, des pâtes à l’ortie, une pizza, un dessert, le tout accompagné d’un peu de vin. C’est bon et roboratif. je n’ai plus qu’à retrouver le lit de camp. Bonne nuit.

J’ai plutôt bien dormi sur mon lit de camp, dans mon drap-sac avec pour couverture le gilet que je ne porte que le soir. Je range tout, remets le lit de camp dans le couloir, un brin de toilette au lavabo puis je quitte la salle paroissiale. Je voudrais glisser une obole dans le tronc de l’église mais elle est fermée. Tant pis, merci Monsieur le curé de votre hébergement pèlerin. Première étape, le petit déjeuner. Je retourne au centre de Monzone en traversant à nouveau le passage à niveau. Le bar d’hier après-midi est fermé le lundi, mais l’autre en face est ouvert. Il vend du tabac et a un grand comptoir de viennoiserie bien fourni en ce début de matinée. Le lieu est animé, vente de tabac, de jeux de loterie, de petits-déjeuners ou de simples cafés forts et très courts, très importants en Italie. Dehors des gens attendent à l’arrêt de bus, j’imagine qu’ils se rendent à leur travail ou à l’école, selon l’âge.

Voilà, je suis prêt à marcher. Direction Gorfigliano et l’hôtel Acqua Bianca où j’ai réservé, c’est à 17 km. Je repasse devant l’église, passe sous une arche, bavarde avec un ancien militaire alpin qui a patrouillé à pied autrefois dans les Dolomites et m’encourage pour mon voyage, puis sors de la petite ville par un petit pont romain authentique. Sur ce pont, il y a une petite stèle, avec photo, commémorative de l’action d’un prêtre résistant qui a été fusillé. Ces stèles rappelant des morts violentes, dues à la guerre ou accidentelles, sont fréquentes dans la région. Il me semble que le rapport aux morts et au souvenir des Italiens est différent de celui des Français, plus « ostentatoire », si je puis dire. Je ne suis franchement pas amateur de ces choses là.

Me voilà dans la nature, chemins creux et boueux, temps frais et humide. Je traverse le village d’Equi Terme. Puis cela s’arrange, venue du soleil, chemins larges sans dénivelé significatif. A la sortie d’un virage, deux chiens sont en liberté, dont un petit et trapu à forte tête de bouledogue et au pelage jaune. Hum. Il vient renifler le bas de mon pantalon puis ce sera tout, pas un aboiement. Il va m’accompagner pendant 2 km au moins, passant d’un bord du chemin à l’autre, reniflant l’herbe et levant la patte. Soudain, le petit chien jaune s’arrête puis me laisse continuer seul, et s’en retourne. Merci de m’avoir accompagné si gentiment. J’ai probablement dépassé la limite de son territoire. L’autre chien était resté sur place, près de la voiture de son maître, peut-être.

Changement de province

Bientôt, je change de province, je quitte celle de Massa-Carrara pour celle de Lucca et suis dans la région montagneuse du nord de la Toscane appelée Garfagnana. Pour aujourd’hui, pas de difficulté, j’arrive aisément à destination. Avant l’entrée de Gorfigliano, je découvre l’hôtel Acqua Bianca (Eau blanche). Cet hôtel est modeste et vieillot. Il y a une grande terrasse couverte où trois hommes finissent de déjeuner, il est 14 h. L’hôtel est tenu par un couple d’octogénaires. Avant, toute chose, je commande une bière et une bouteille d’eau, j’ai soif. Après ce rafraîchissement, la dame me conduit à l’étage à ma chambre, au décor et mobilier  surannés. La salle d’eau est au bout du long couloir qui distribue des chambres de part et d’autre. La douche est bonne après deux journées. J’ai tout mon après-midi, donc je me rase et fait ma lessive dans le coin lavabo de la chambre. Je crains que le linge ait du mal à sécher, le temps est humide, mais je suis peut-être pessimiste.

Nous convenons du dîner à 19h30, heure standard semble-t-il dans cette région. L’après-midi est passée tranquillement et je me présente à l’heure dite au restaurant. Outre les tables pour deux ou quatre personnes, il y aussi une grande table, près de la télévision qui tonitrue, où la famille termine de dîner. Le tenancier, ses enfants et ses deux petits-enfants, un couple d’oncle et tante des jeunes parents. Je suis aimablement invité à choisir une table. La télévision diffuse un jeu où le candidat malheureux disparaît sous la scène, ou plutôt le plateau, comme s’il allait en enfer, puis l’autre candidat voit ses gains augmenter, ce qui ne le met pas à l’abri de disparaître un peu plus tard à son tour. La dame prend ma commande et me sert. Le repas est simple et bon. La famille continue ses conversations, les enfants s’agitent un peu, la télévision fait du bruit. Je salue et monte à ma chambre.

Au matin, mes vêtements sont secs, je remets donc le polo jaune qui me permet d’être bien vu sur les routes. Je descend au bar à 7h30, le fils m’accueille avec son aînée, allume les lumières et nous sert le petit-déjeuner à tous deux. Je lui demande l’âge de ses enfants, 6 ans et 13 mois, lui parle des miens et de mon petit-fils de 5 mois. « Bello ! » C’est l’exclamation standard en apprenant une nouvelle agréable. Je règle mon dû, monte chercher mon sac et me voilà prêt pour une nouvelle journée de marche.

 Je pars pour Capanne et l’hôtel La Ceragetta (La Cerisette). Le chemin traverse d’abord Gorfigliano où les commerces de proximité ouvrent. Ils sont encore nombreux en Italie, salon de coiffure, bar-tabac, épicerie … Après les maisons, je longe un torrent puis entre dans une forêt dense où m’attendent deux heures de montée en lacets. C’est raide, les racines des arbres me font des escaliers. Le bruit du torrent s’estompe. Moi qui coyais en avoir fini avec la montagne après le Mont Ce,is et le Va de Susa, je suis servi ! Soudain, le téléphone sonne, c’est ma soeur Christiane : « Il y a longtemps que je n’ai pas de nouvelles. Tout va bien ? Où es-tu ? Tu parais essoufflé. » « Oui, tout va bien. Je suis en montage, je grimpe depuis un moment. » Cette pause m’a fait du bien. La journée compte 1 100 m de dénivelé positif et autant en négatif. Cinq minutes après avoir raccroché, le chemin s’infléchit, je sors du bois et suis sur la crête au village-jalon de Campocatino. Quel plaisir !


Vagli Sopra


Je poursuis, sans trop de dénivelé, jusqu’à Vagli Sopra, un ancien village près des cimes des Apuanes, transformé en centre de vacances pour enfants et adolescents. Le paysage est minéral, c’est très beau. Il faut maintenant descendre l’autre versant, vers Vagli Sotto, par un chemin pierreux très pentu, inconfortable, jusqu’au parc naturel du Lac de Vagli. 

A l’entrée du parc, je rencontre un employé qui décharge du matériel de sa grosse voiture siglée. Nous bavardons longuement, mon histoire lui plaît. Au moment de nous séparer, il sort d’une boîte pleine de colifichets (peut-être des cadeaux pour les jeux des enfants dans le parc ? ) et m’accroche autour du cou, un collier au lacet jaune tenant une étoile en plastique transparent. « Cela te donnera force et courage pour ton voyage. » Je laisse Vagli Sotto sur son promontoire à ma gauche, traverse une branche du lac par un grand pont en béton puis longe le lac vers le sud. Le niveau de l’eau me semble anormalement bas et me donne un sentiment de léger malaise. Est-ce un effet du réchauffement climatique ? J’entre officiellement dans le parc, une cabane en bois et quatre mats avec drapeau (l’Europe, l’Italie, la Toscane, le Parc) pour l’accueil, puis juste après, de gros blocs de marbre de Carrare au bord du lac. Voilà, je vais déjeuner sur une table de marbre, le luxe, quoi !


Une banche du lac de Vagli vue du pont en béton

Parc naturel du lac de Vagli - Bloc-table de marbre

Dès en repartant, je passe devant une stèle commémorative avec photo du décès accidentel, il y a quarante ans, d’un jeune homme de 19 ans, stèle figurant dans les repères du chemin. Je poursuis, soudain devant moi, une laie est en train de fouir le chemin, se redresse à mon approche, semble inquiète et s’enfuit. Un peu plus loin, je la retrouverai avec deux de ses copines à côté du chemin, je passe sans grande inquiétude mais sans demander mon reste. Le chemin est maintenant en sous-bois, il est long et monte bien, sans commune mesure, toutefois, avec ce matin. Il faut quand même se mobiliser et ne pas trop se soucier de l’isolement.


Enfin un village : Porreta. A sa sortie, une balise m’invite à prendre à gauche la petite route qui descend. L’après-midi est avancée et j’hésite à poursuivre par la route provinciale. Bon, je suis la balise, la petite route est agréable, je la quitte près d’une église pour descendre dans une gorge au fond de laquelle coule la rivière Rimondina. Quand même, je ne suis pas à l’aise. Avant la rivière, je reviens sur mes pas, prend un autre embranchement qui est une impasse. Je m’agace des imprécisions du balisage et, furibard, décide de retourner à Porreta. Il faut remonter le versant et parcourir à nouveau les 2 km inutiles. Voilà, une heure de perdue mais je n’ai plus qu’à dérouler en descente sur la provinciale jusqu’à Capanne. 


Près de Capanne - Vallée de la Rimondina

Après Capanne - La montagne à franchir
Au passage, je trouve une balise qui sert à la sortie d’un chemin pentu sur l’autre rive de la rivière, c’est peut-être par là que j’aurais dû arriver. Mais bon, la fraîcheur vient, les ombres s’allongent et je sens la fatigue de la journée, plus que 3,5 km pour Capanne.

J’arrive au but et découvre facilement l’enseigne de la Ceragetta. Je monte au bar, sonne, on vient, je me présente, flûte ! on m’avait oublié, pas de chambre préparée, on appelle le patron. Pendant ce temps, je demande une bière que je vais boire sur la terrasse surélevée où il y a une famille de touristes anglais, un homme et trois femmes, qui engagent la conversation. Difficile, les réponses me viennent en italien ou en français. Enfin après quelques minutes, je retrouve les nombres et le vocabulaire élémentaire, et peux répondre en termes de distance et d’heures de marche, ce qui ne laisse pas de les étonner.

Voilà le patron. Il va me conduire en voiture au village-vacances de la Ceragetta à 2 km en contrebas. Le village tout entier appartient à l’hôtel, il est accroché au versant de la vallée profonde de la Rimondina. Je vais disposer d’un logement complet, séjour-cuisine, salle d’eau, chambre pour deux personnes. Le tout est très beau et très luxueux, pour un randonneur ! Le patron viendra me chercher pour dîner à Capanne en haut du village puis me raccompagnera après. Pour demain matin, il y a tout ce qu’il faut dans le logement, la cafetière Bialetti, les sachets de biscuits siglés La Ceragetta (le linge de toilette l’est aussi).

 Nous sortons : «  Pour partir demain inutile de remonter à Capanne, suivre ce chemin qui descend dans le bois et rejoint le GR qui va à Isola Santa. Là se trouvent les balises du Chemin d’Assise. » « Si je me perds, je vous appelle. » « Impossible de se perdre. » Voilà, je suis dans un grand logement, chaleureux comme la Vecchia Cascina. Le lieu est propice aux activités sensuelles ce qui me fait ressentir davantage ma solitude. A l’heure dite, la voiture est là. Au restaurant, la salle est très agréable et je vais bien dîner. Antipasti, pasta, plat, carafe de vin. Le tout est copieux et très bon, je renonce au dessert. L’hôtelier, qui fait le service, m’offre la grappa qui est très bonne. Je règle mon dû, à peine plus élevé que pour un hébergement ordinaire, et retour au village-vacances. En route, je dis à mon hôte que je n’ai qu’une envie, dormir. Ma journée est faite.

J’ai bien dormi. Peu de voisins dans les autres pavillons, tout est calme, luxe. Pour prendre les infos, j’allume la télé, réglée par mon hôte sur France 24 afin que je sois mieux que bien. Petit-déjeuner, fermeture du sac, la clé sur la table de la cuisine, je tire la porte à l’italienne. Allez. En même temps que le chemin de départ, mon hôte m’a montré la montagne boisée de l’autre versant que j’aurai à parcourir. C’est très haut et je dois passer d’abord par le fond de la vallée.

Les indications du chemin précisent 1 030 m de montée et autant de descente pour la journée. Je m’engage dans le chemin herbeux qui descend fortement à la sortie du village, prudence, et qui se transforme en chemin de terre encore plus pentu. Bientôt, je contourne une bergerie en ruine (Salut, Jack Palmer ! ), longe un petit torrent, affluent de la Rimondina qui a si bien creusé la montagne, écarte des ronces. Puis soudain, un large chemin avec une balise blanche et rouge. Cela me met de bonne humeur, pas besoin d’appeler le patron à mon secours. je vire à droite vers Isola Santa et que je prends à l’opposé du bourg. Je quitte ici le parc naturel.

2,5 km de route en balcon, ça repose et ça prépare à l’épreuve de la journée. Je laisse la route pour traverser la rivière par un pont et trouver une autre petite route dédiée au habitants du hameau Pizzorno. Maintenant l’ascension commence. A l’entrée de Pizzorno, je suis accueilli par deux chiens, un berger allemand tout à fait paisible et un grand chien blanc sérieusement agressif. Que faire ? J’attends, pointes des bâtons en avant. Il aboie si fort que sa maîtresse finit par sortir, l’attrape par le cou, tente sans succès de le calmer puis l’enferme dans sa maison. Je peux donc traverser le hameau où l’unique rue étroite se confond avec les cours des maisons. A la sortie, j’hésite entre deux voies, la même femme qui s’est approchée, sans doute habituée aux pèlerins, m’indique la bonne. « Grazie, Arrivederci ».


J’entre dans un chemin étroit à flanc de montagne. Puis commence la véritable ascension dans les bois, 600 m de dénivelé en deux heures. Bientôt, je me sens à nouveau isolé dans la montagne, sous les grands arbres dont les racines me font souvent des escaliers. J’en croise de vénérables, morts et très beaux. 




Dans la montée pour aller à Vergemoli - Deux vénérables


Heureusement, j’ai mes bâtons sans lesquels l’épreuve serait impossible. Je pense aux sangliers et aux irréductibles Gaulois. Un début de fringale me prend, je me promets de manger la banane une fois sur la crête. Il y a du vent et, tout heureusement aussi, du soleil. Comme hier, je me concentre sur l’effort nécessaire à la montée. Puis les arbres sont moins grands, il y a des herbes hautes, davantage de soleil. bientôt le sommet. Mais, non, ça continue de monter longtemps. Enfin, j’y suis ! Je découvre l’autre versant, magnifique ! Je suis si content que j’en oublie la fringale et la banane.

Voilà, je n’ai plus qu’à descendre à Vergemoli où je suis attendu à l’Ostello Roni. L’ostello est un hébergement plus simple que l’albergo, l’hôtel. Le premier est un hébergement collectif en dortoir, bien adapté au voyageur à pied. J’arrive sans encombre à destination, traverse le village, passe devant la marie qui semble un ancien palais pas si grand, revient sur mes pas et rencontre, sur la place derrière la mairie, un groupe de personnes, des retraités, me renseigne. Elles connaissent l’Ostello Roni, c’est la mairie. Un homme se détache du groupe et va sonner, à deux pas d’ici, chez la responsable de l’hébergement municipal.

Nous entrons, la responsable, jeune femme brune dynamique, et moi, dans le palais Roni par la grande porte, sur la façade il y a les drapeaux de l’Europe et de l’Italie. Au rez-de-chaussée, la mairie, au premier, la cuisine équipée des résidents, au second, le dortoir. Dans le large escalier, une grande sculpture de Saint-François dans une niche. Tout est impeccable. Je dispose, outre le linge de toilette, les draps et les couvertures, de trois douches et de trois lavabos, étant seul une nouvelle fois ce soir. Je règle mon dû pour l’hébergement, presque dérisoire, et pour les victuailles de mon dîner que j’avais demandées. Je règle ces dernières au vu d’un ticket de caisse au centime près, pas question d’arrondir la somme comme je le voulais. La douche, puis direction le bar de la place.

Il fait bon, c’est juste après 17 h. Je m’installe à l’extérieur à une table en plastique blanc au bord ébréché, à la publicité pour une glace industrielle décolorée. Il y a là, près de moi, deux ouvriers en tenue de sécurité orange et aux bandes réfléchissantes qui refont le monde en buvant du vin blanc. Leurs verres sont posés sur la pile de fauteuils en plastique qui sont en libre service. De l’autre côté de la rue sous un barnum, les retraités de tout à l’heure qui parlent gaiement et fort. Siamo in Italia. Et sur la terrasse en bois, assise près de l’entrée du bar, une femme maigre, au visage ridé et aux longs cheveux blonds, en train de fumer. J’attends. Rien ne se passe. Finalement, j’entre dans le bar. La femme blonde me suit, c’est la patronne. Elle me sert une bière Peroni en bouteille que je vais consommer à l’extérieur. Le soleil décline, les retraités se séparent. Je rentre aussi préparer mon dîner. Ce moment de détente était très agréable même s’il n’a pas donné lieu à une discussion.
Dans la cuisine, une femme asiatique fait cuire des pâtes. J’avais été prévenu discrètement de la présence d’autres personnes qui ne sont pas dans le dortoir. J’imagine que ce sont des immigrés. L’échange est difficile et très limité hors le français et l’italien, encore plus lorsque je suis fatigué. (Je croiserai à nouveau le couple souriant au moment de mon départ.) Je prépare à mon tour le repas, pâtes, jambon à la coupe, fromage, fruits et dîne seul dans la cuisine. Dans le dortoir, j’ai choisi le lit près de la fenêtre qui donne sur la vallée. L’horizon est loin.

Ce jeudi 19 septembre, j’avais prévu une étape de 20 km avec 1 200 m de montée et 1 400 m de descente, mais j’accuse la fatigue. A Capanne, j’avais donc décidé de couper cette journée en deux étapes. Finalement, j’irai aujourd’hui à Trassilico à 8 km et demain à Cardoso, 12 km plus loin. A Trassilico, j’ai réservé au B&B Principessa Turlonia, un nom de conte de fées. Je pars l’esprit léger pour cette courte étape, traverse à nouveau Vergemoli. Je descends dans la vallée puis remonte par un chemin qui longe des vignes et des oliviers puis arrive sur une large terrasse (une petite partie du dénivelé est réalisé) où se trouve une église en travaux et juste après Trassilico.

Trassilico - Vue de mon jardin


J’entre dans le village par une route si étroite que je verrai y passer difficilement une FIAT Panda, et dès l’entrée, je suis devant la maison Princesse Turlonia. Des ardoises à l’extérieur indiquent qu’on peut déjeuner et que c’est ouvert. Il est 12h30. Je pousse la porte vitrée de petits carreaux et suis accueilli chaleureusement par une dame d’une cinquantaine d’années tout sourire et qui parle bien le français.

La grande cuisine est à droite, la dame est aux fourneaux, la salle de séjour est à gauche avec une unique grande table ronde où déjeunent trois ouvriers. Le mari très droit dans son tablier de sommelier assure le service. On me demande si je souhaite déjeuner. Oui, bien volontiers. Puis l’homme me conduit à la chambre au premier étage. Nous traversons une première chambre inoccupée, puis entrons dans celle qui m’est attribuée. Elle dispose d’une salle d’eau sommaire, d’un coin salon et a une porte fenêtre qui donne sur un jardin qui m’est réservé. La maison est très haute, ses murs très épais protègent du froid l’hiver, et, aussi, empêchent la 3G et la 4G de passer. Elle est encombrée d’une multitude d’objets dans toutes les pièces. De verres, sans doute en cristal, dans le séjour, des tableaux aux murs, des livres à profusion, des coussins partout sur les fauteuils et les lits. Un piano avec une partition ouverte, des photos de famille avec de jeunes musiciens. Dans un coin du séjour, la roche de la montagne est apparente. 

Cette maison accueillante est pleine de bonhomie et respire la connaissance et la culture, même si je la trouve trop remplie.
Après la douche, je descends pour le déjeuner, un couvert m’attend à l’unique table. Je bavarde avec les ouvriers qui terminent leur repas avec les liqueurs posées là sur la table par le patron. Bien sûr la discussion porte sur mon voyage qui suscite une nouvelle fois l’étonnement. On m’apporte une carafe de vin de Toscane, la pasta puis le plat de viande avec légumes, les ouvriers s’en vont, et pour terminer une salade de fruits frais. Café ? Oui. Liqueurs ? Non, pas le midi. Puis je me ravise, je vais juste goûter la grappa, ce qui fait rire mon hôte. J’ai bien fait, elle est bonne. Maintenant, je suis prêt pour la sieste.

En milieu d’après-midi, je sors pour voir Trassilico, la maison est fermée mais j’ai la clé. A la petite table en face de la porte d’entrée, deux pèlerins attendent. Un couple de mon âge, des français. Ils ont réservé ici. Ils sont fatigués, voudraient se mettre à l’abri, il pleut un peu, et faire sécher leurs vêtements. Le téléphone de l’hôtesse ne répond pas. Il pleut si peu que nous restons dehors à bavarder. Ils se sont bien égarés, ces derniers jours, à plusieurs reprises, malgré leur GPS spécial rando (finalement, je ne me débrouille pas si mal sur le chemin). Ils sont en route pour Assise et tiennent à y arriver pour le 3 octobre, jour des fêtes consacrées à Saint-François. Ils habitent près de Aix-en-Provence et fréquentent régulièrement Toulon et le Stade Mayol. La discussion va d’elle-même.

Notre hôtesse au large sourire arrive d’une autre maison du village où elle habite. Le téléphone ? Les murs sont si épais … Le couple logera au deuxième étage mais, pour y accéder, il faut contourner la maison et entrer par une autre rue. Pendant que lles Aixois s’installent, je visite le bourg, tout en longueur sur la crête, qui est assez important avec un bureau de poste, un bar-glacier, une grosse église. Je croise notre hôte qui promène son chien. Nous échangeons quelques mots en italien, puis je repère la sortie du village pour partir demain. Je rentre et profite un peu de mon jardin, avant le dîner qui sera aussi bien que le déjeuner. J’y apprends que les Aixois ont décidé de poursuivre par la route plutôt que par le chemin en montagne et en cumulant deux étapes pour rattraper leur retard. A la fin du repas, je ne suis pas seul à honorer les liqueurs du patron.

Nous nous retrouvons au petit-déjeuner, café, multiples pâtisseries maison, salade de fruits. Somptueux. Le pèlerin d’Aix s’enquiert de l’origine du nom Principessa Turlonia. Nous apprenons qu’il s’agit de la grand-mère de notre hôtesse qui a épousé un prince romain de ce nom. Les deux portraits peints dans le séjour sont ceux de ce couple d'aïeux. Puis nous sommes sollicités pour écrire un mot sur le livre d’or de la maison. Les Aixois sont pressés de partir, un mot sur le livre, paiement de la nuitée et au revoir a tutti. Bon chemin et à une prochaine étape peut-être, qui sait ? Je prends un peu plus de temps, ce qui est davantage dans mon tempérament, surtout le matin. J’écris un mot en italien sur le livre puis le tends à l’hôtesse en lui demandant de pardonner mes éventuelles fautes et de me les signaler. Elle lit, referme le livre et, avec un grand sourire, me remercie. Je salue le couple de la maison, Monsieur et Princesse Turlonia « Princesse Turlonia, ce n’est pas moi, c’est ma grand-mère » dit-elle avec son bon et vaste sourire. Et tous deux me souhaitent un bon voyage et de garder un bon souvenir de la région Garfagnana.

Je quitte Trassilico par une chemin qui monte dans un bois de châtaigniers. Le bois est grand, il y a beaucoup de bifurcations, heureusement les balises sont là. Je monte encore et encore comme avant-hier, toujours dans les bois. « Quand te reverrai-je pays plat merveilleux ? » Ah, le chemin s’infléchit. Puis … puis repart en montée de plus belle. Un bel arbre vénérable est signalé par un panneau, je m’y arrête un peu. 

Vers Cardoso - Un vénérable signalé


Enfin voici la crête avec un belvédère qui surplombe la vallée du Serchio, un fleuve majeur de la Toscane. C’est très haut. J’aimerais voler au dessus de la vallée, mais bon, je rebrousse chemin prudemment et vais commencer la descente vers Cardoso.
Le chemin descend bien maintenant, à l’approche d’un hameau, je traverse un pré ouvert où je croise un troupeau de chèvres encadré par des chiens qui se figent à mon approche. Heureusement, le chevrier est là, un simple mot et les chiens abandonnent la surveillance de l’intrus. Le chevrier m’indique le chemin herbeux et pentu avant l’entrée du hameau et devine ma destination. Je descend maintenant sans cesse dans les bois, tout va bien. Soudain, un grognement. A ma droite à moins de dix mètres, deux sangliers mâles aux crocs recourbés. Ma présence les dérange alors qu’ils fouissent la terre. Gloups. Je passe mon chemin, sans accélérer ni ralentir. Sans penser aux irréductibles Gaulois ni à prendre une photo. J’essaie d’obtenir leur indifférence, ce qui, heureusement, se produit.


Cardoso - Vue du logement paroissial


J’arrive ensuite sans encombre à Cardoso, un village accroché à la montagne, le Serchio est encore bien loin en bas. Je serai logé à la paroisse ce soir, je monte au bourg ancien où l’église est perchée sur un piton comme celle de Monzone Alto. En arrivant, on pourrait se croire au Mont saint-Michel, toutes proportions gardées, avec les rues aux longues marches. Je rencontre deux femmes qui se dirige vers l’église, l’une porte des linges de toilette sur le bras. Ce sont mes hôtesses. Elles ouvrent le logement tout près. C’était le logement des prêtres autrefois. Il y a une grande salle avec une grande table et six lourdes chaises en bois, un bureau prêt pour le travail, des bannières et accessoires de procession sous un grand drap. Deux lits, une fenêtre donnant sur les toits du village et la vallée, superbe vue. Et encore une table avec du thé, du café lyophilisé, des biscuits secs et une bouilloire. Dans la pièce voisine, cinq lits et, à l’autre bout de la grande salle, une salle d’eau, complète cette fois. Je règle ma nuitée puis je suis invité à visiter l’église, ce que je fais volontiers. Pour dîner, il y a un bar-pizzeria en bas au bourg neuf. Il est encore tôt, je fais une lessive que j’étends sur un tancarville au soleil dehors devant la porte, puis descends au bar juste sous l’église boire une bière. En début de soirée, je vais dîner au bar-pizzeria d’une superbe pizza aux fruits de mer, accompagnée de vin blanc, et d’une crème brulée. Puis retour au logement, extinction des feux et ensommeillement immédiat.


A bientôt.


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